Les femmes du mont Ararat
réalisé par Erwann Briand| 2004

 
     
 

CARNET DE NOTE DU REALISATEUR :

Irak. Eté 2003.
Personne, mis à part le conducteur de notre jeep, ne sait la direction que nous prenons. Après 800 kilomètres de désert et la traversée clandestine des lignes kurdes irakiennes, nous touchons au but, une chaîne de montagne à la frontière de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie, un nœud stratégique de première importance, contrôlé uniquement par les guérilleros kurdes du PKK. Parmi eux, trois milles femmes. Elles ont fondé leur propre armée, vivent en autarcie totale, à l’écart des hommes.

Nous sommes les premiers européens à avoir filmé leur vie.

Dans des zones de conflits qui s’inscrivent dans la durée, parfois depuis plusieurs dizaines d’années, les femmes se font de plus en plus présentes. Comme si pour arrêter la folie meurtrière des hommes, elles se mettaient aujourd’hui au premier plan, transformées en bombes humaines ou en soldats, et ce, dans des territoires où leurs droits sont le plus souvent bafoués.

Paradoxalement, on ne parle que très peu de ces femmes. Il est vrai que l’image de la femme martyre sous sa burka ou son tchador ou déchirée par la mort de son enfant est plus commode, plus simple que celle d’une femme qui donne la mort.
Quand on se mêle d’évoquer les Kurdes, on se rend vite compte que l’on est très seul. Et surtout quand il s’agit de Kurdes de Turquie, leur guerre a été totalement passée sous silence par les médias.

En cas de conflit, l’essentiel des images que nous avons sont celles, muettes de CNN et autres chaînes spécialisées dans l’information live.
Comme si l’homme derrière la caméra ne devait pas s’engager, prendre position. Comme si le seul fait de filmer l’horreur suffisait à se racheter, suffisait comme engagement. Un peu aussi comme si on avait peur de se faire avoir, de délivrer de la propagande facile et à bon prix.
A quoi bon filmer les tanks, les visages plein de détresse, les ruines des villes abattues, si l’on ne sait ce qui habite le cœur de ces hommes et de ces femmes prêts à tout pour une idée, à quoi bon filmer tout cela si on ne partage pas leur sort, l’espace d’un tournage, si on ne s’engage pas ?

J’ai décidé de donner la parole à ces femmes, traquant leur humanité derrière leur kalachnikov et leurs treillis. J'ai filmé dans l’urgence et en profondeur, en vivant aux côtés de ceux qui luttent.

 
   
 
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